Il en a déjà été question ici, mais sans doute importe-t-il de réfléchir de façon approfondi à la manière dont, dans une ville comme Avignon, les inégalités se manifestent dans l’espace.
Les inégalités sociales dans le logement
Bien sûr, c’est, d’abord, dans le logement qu’apparaissent le plus violemment les inégalités sociales. Il s’agit d’une véritable violence parce que c’est tous les jours que les habitants qui en sont sot agressés par ces inégalités dans le logement. Ces inégalités frappent, d’abord, les immeubles d’habitation, à la fois dans leur situation dans l’espace urbain, dans leur entretien, mais aussi, peut-être pour commencer, dans l’économie politique du logement. Les habitants de la ville – à Avignon peut-être même plus que dans d’autres villes – sont confrontés à des loyers sans commune mesure avec la qualité des logements proposés, à des entreprises de gestion dont la voracité n’a d’égale que l’incapacité ou l’absence d’implication, à des dégradations imposées par l’absence d’entretien des immeubles et des appartements. Enfin, les inégalités sociales dans le logement sont visibles dans l’opposition, qui semble pérenne, entre l’intra muros et l’extra muros : tout se passe comme si les remparts veillaient au maintien des inégalités dans la géographie de la ville. Cela ne signifie pas qu’il faille les détruire, mais seulement qu’il importe de limite leur rôle à un rôle esthétique, et de ne pas les laisser poursuivre leur rôle de ségrégation.
Les inégalités dans l’architecture et l’esthétique de l’espace
L’esthétique de l’espace, le paysage urbain, ne se limite pas à la construction et à l’aménagement d’espaces destinés aux touristes. La qualité du paysage urbain est une exigence de tous les jours, dont tous les habitants d’une ville doivent bénéficier. Il y a des inégalités esthétiques dont il faut être conscient pour mener une politique de la ville pleinement efficace. Les inégalités architecturales sont, d’abord, des inégalités patrimoniales. L’entretien dans l’espace urbain des sites et des constructions du patrimoine de la ville doit âtre, elle aussi, fondée su l’égalité des sites et des quartiers. Par ailleurs, c’est la qualité architecturale des constructions, qu’il s’agisse d’immeubles d’habitation, d’immeubles commerciaux ou d’immeubles institutionnels. On a trop souvent négligé l’esthétique de l’architecture pour réduire la construction à sa dimension fonctionnelle, et il importe d’en finir avec la réduction de l’architecture à cette conception utilitariste et retrouver une égalité dans les paysages aménagés dans l’espace urbain. Tout le monde doit avoir droit au plaisir de regarder le paysage dans lequel il vit.
Une économie politique de l’espace de la ville
Il faut, comme nous le disions plus haut, élaborer une économie politique de l’espace urbain. Comme nous le rappelle Marx, l’économie doit être pleinement politique, c’est-à-dire être critique et engagée. Jusqu’à présent, le libéralisme dominant a imposé une sorte de négligence ou de désintérêt pour une telle économie politique. Cette économie politique de l’espace urbain comporte trois dimensions. Il s’agit, d’abord, de la répartition des fonctions et des acteurs économiques dans l’espace : il ne doit pas y avoir des quartiers d’habitation et des quartiers d’activité séparés les uns des autres, mais les activités doivent être répartis également dans tous les quartiers. C’est, d’ailleurs, ce que permet l’emprise du numérique dans les métiers. Il s’agit, ensuite, de veiller à l’articulation de cette économie spatiale des métiers et des habitations à une véritable économie politique des transports et des réseaux. Il s’agit, enfin, d’une économie politique de l’environnement et du paysage. C’est dans l’ensemble de l’économie politique de l’espace que la politique environnementale de la ville doit avoir sa place.
Une politique de l’espace pour en finir avec les inégalités
Une économie politique est une économie soucieuse de l’expression économique d’une véritable égalité entre les habitants d’un pays ou d’une ville. Dans le domaine de l’espace urbain, cette politique de l’égalité doit, d’abord, se manifester par l’institution d’organismes publics de contrôle de la qualité du logement veillant, à la fois, à la dignité des logements proposés, en fixant une qualité minimale des logements pour qu’ils soient admis sur le marché, en établissant des règles du logement et en s’assurant de leur respect. L’un des rôles majeurs des municipalités doit être le contrôle de cette qualité des logements. Par ailleurs, il importe d’élaborer aujourd’hui une véritable évaluation critique de la métropolisation des villes commencée dans les années soixante (les quatre premières « communautés urbaines » ont été instituées en 1966, à Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg). Si de telles collectivités locales étaient devenues utiles pour repenser la relation entre les centres des villes et les périphéries urbaines, sans doute peut-on, aujourd’hui, parler d’un échec, notamment dans le domaine de l’égalité, car elles ont pérennisé la coupure entre les centres et les quartiers périphériques et les banlieues. Par ailleurs, pour se fonder sur l’égalité, l’économie politique de l’espace doit être soucieuse de l’égalité du point de vue des transports en commun dans la desserte de tous les lieux des espaces urbains et dans les relations entre les périphéries et les centres. Enfin, l’économie politique de l’espace doit élaborer des outils démocratiques de prévision et de planification associant tous les habitants à l’élaboration des politiques prospectives de l’espace urbain. C’est par la prévision et la planification que les projets assurant l’égalité dans l’espace urbain peuvent être élaborés de façon démocratique dans le temps long des villes. Dans une ville comme Avignon, une elle prospective politique de l’espace urbain porte, notamment, sur l’implantation d’activités économiques nouvelles, mieux adaptés à notre temps et mieux articulées à une véritable offre de formation.
Bernard L.