Sur le pont camarade

L’ARGENT (2)

La fiscalité

L’impôt institue pleinement l’argent comme une médiation, comme une dialectique entre le singulier et le collectif : c’est le rôle de l’impôt d’assurer une forme de solidarité financière entre tous les acteurs de la société, qui met en œuvre pleinement le rôle de l’État. On pourrait dire que, par l’impôt, l’argent public est réellement à tout le monde, puisque tout le monde contribue à assurer ce que l’on peut appeler la richesse de l’État : son pouvoir économique.

Par ailleurs, l’impôt rend à l’argent sa fonction de représentation symbolique de l’identité, de deux façons. D’abord, l’argent que je paie par l’impôt représente mon identité économique pour les autres. C’est le montant de l’impôt dont je m’acquitte qui définit ce que je représente pour la société, la dimension financière de mon identité. Par ailleurs, l’impôt définit une autre identité politique, celle des diverses conceptions du pouvoir : c’est la distinction entre les conceptions du pouvoir qui distingue les politiques fiscales les unes des autres, à la fois selon la répartition de l’impôt dans la population que fixent les acteurs du pouvoir et selon les usages de l’argent ainsi recueilli par l’impôt, qui distinguent les orientations politiques du pouvoir.

jean louis mazieres IMG_1187E Harald Giersing 1881-1927 Denmark Trois dames en bloc Three ladies in block 1922 Aarhus Kunstmuseum Denmar

Dimension institutionnelle de l’argent

Comme l’argent – ainsi que nous l’avons vu la semaine dernière – a une signification, représente une valeur, son usage est fixé par une institution : la monnaie. La monnaie, constitutive de l’identité économique et financière d’un pays, représente le système symbolique dans lequel ont lieu des échanges dans ce pays.

La monnaie est, ainsi, une expression du pouvoir. Le pouvoir s’exerce, d’abord, en fixant la monnaie qui a cours dans un pays. En ce sens, la monnaie est un signe de l’indépendance d’un pays et manifeste l’identité de ce pays dans l’espace économique du monde.

C’est bien pourquoi la naissance de l’euro a marqué un affaiblissement des identités politiques des pays européens. D’abord, la perte de la relation entre la monnaie et le pouvoir politique se manifestait par l’indépendance politique de la Banque centrale européenne (la B.C.E.). Or, en échappant au pouvoir des pays qui utilisent l’euro, l’argent perdait sa dimension politique et les pays perdaient leur indépendance. Par ailleurs, en mettant fin aux différences entre les pays européens, l’euro leur faisait perdre leur identité économique. Cette perte d’identité commence par l’euro, et, demain, ce sera perte de la langue.

jean louis mazieres IMG_0848 THE CONTEMPORARY ART OF STATE: A PROBLEM OF SOCIETY. MCY Twombly (Edwin Parker Twombly) 1928-2011Lepanto 2001Munich Musée Brandhorst

La financiarisation de l’économie

L’économie est un ensemble d’activités des habitants d’un pays ou d’un ensemble d’un pays. Mais il ne faut pas la confondre avec un marché d’échanges et de commerce. La véritable économie, ce que l’on peut appeler L’économie réelle, est un ensemble d’activités, de métiers de relations sociales. C’est pourquoi il ne faut pas réduire l’économie à sa dimension financière, car le finance ne représente que l’activité économique qui porte sur l’argent.

La financiarisation sépare l’argent de l’économie en le réduisant à un capital accumulé. L’argent ne joue plus son rôle de « langue », de système de représentation dans lequel ont lieu les échanges et la circulation de la valeur, mais il se réduit à de l’accumulation sans activité. La finance, c’est de l’argent mort.

L’approche morale de l’argent

À la fois depuis l’avènement du protestantisme qui a voulu inscrire la morale dans les relations sociales, notamment dans des pays comme la Suisse, l’Allemagne ou les Etats-Unis et depuis l’accroissement de l’importance politique des pouvoirs des marchands et des financiers,    l’argent s’est inscrit dans une logique morale, qui distingue les usages vertueux de l’argent et ses usages condamnables. C’est ainsi que les préceptes dominant les politiques économiques sont celles de la réduction des dépenses – y compris des dépenses publiques – et de la restriction de la consommation, en particulier dans les périodes dites de crise.

Mais l’argent n’est pas dans la logique de l’éthique, pace qu’il n’est qu’un système de signes. Comme l’argent n’est qu’une « langue », il n’a pas à s’inscrire dans une logique morale, mais seulement dans une logique d’utilité. C’est l’usage qui fixe la valeur et non des dogmes ou des lois.

Ainsi, en particulier, l’accumulation de richesse n’est pas une vertu, même chez les pauvres, à qui on tente de le faire croire. C’est pourquoi la question de l’impôt sur les successions est très importante, car elle repose sur la vieille histoire du « accumulons l’argent pour nos héritiers », qui n’a aucun sens, car l’argent, ainsi accumulé, ne sert à rien dans l’économie.

Carmosina (soprano), figurino di Alfredo Edel per Carmosina (1888) – Archivio Storico Ricordi ICON004060.jpg

L’argent et le risque

L’accumulation « au cas où » fait croire que l’argent protège du risque, alors que l’argent ne protège de rien. Le risque, le danger, ne sont que des figures imaginaires, alors que l’économie, ce n’est pas de l’imaginaire, c’est bien du réel. La seule façon de se protéger d’un risque, c’est, d’abord, d’identifier ce risque, cette menace, et, ensuite, de se protéger par des outils adaptés à ce danger. L’argent accumulé ne protège que d’un risque imaginaire. La seule menace réellement liée à l’argent est celle du vol, qui est lié à l’accumulation. Ainsi, mettons fin à l’accumulation de richesse et le vol, ne servant à rien, ne sera plus une menace. Par ailleurs, ce n’est pas le rôle des personnes de se protéger des risques, c’est à la société de les défendre, de les protéger. C’est bien le sens de la vie en société. Dans ces conditions, s une part de l’économie est destinée à protéger de risques éventuels, c’est l’économie publique, exprimée et régulée par l’économie politique.

C’est bien pourquoi l’argent n’a de valeur que s’il est utilisé dans l’économie réelle, que s’il joue pleinement son rôle de système symbolique en rendant possibles les échanges dans les relations économiques entre les acteurs sociaux, entre les habitants d’un pays. Il ne représente pas la richesse ou la pauvreté, il est la médiation des échanges et des relations sociales entre les acteurs de la vie économique et politique d’une société.

Bernard L.

L’ARGENT QUELQUES LIVRES À LIRE

BEITONE (Alain), CAZORLA (Antoine), DOLLO (Christine) et DRAI (Anne-Marie) (2010), Dictionnaire de science économique, Paris, Armand Colin, 485 p. (1ère éd. : 2002)

CROZET (Yves), ABDELMALKI (Lahsen), DFUFOURT (Daniel) et SANDRETTO (René) (1998), Les grandes questions de l’économie française, Paris, Nathan, 352 p.

DECLERCK (Patrick) (2001), Les naufragés, Paris, Plon, 458 p. (Coll. « Terre humaine »)

GOUX (Jean-Joseph) (1973), Économie et symbolique, Paris, Seuil, 284 p.

LAMIZET (Bernard) (2013), Le sens et la valeur, Paris, Garnier, 465 p. (« Bibliothèque de l’Économiste »)

MARX (Karl) (1859), Critique de l’économie politique, in MARX (1965), p. 267-452

MARX (Karl) (1867), Marchandise et monnaie, in Le Capital, I, 1, in MARX (1965), p. 561-690

MARX (Karl) (1864-1875), Accumulation du capital monétaire et crises, in MARX (1968), p. 1180-1284

MARX (Karl) (1965), Œuvres, t. 1, tr. fr. sous la dir. de M. Rubel et L. Evrard, Paris, Gallimard, 1820 p. (« Bibliothèque de la Pléiade »)

MARX (Karl) (1968), Œuvres, t. 2, tr. fr. sous la dir. de M. Rubel et L. Evrard, Paris, Gallimard, 1970 p. (« Bibliothèque de la Pléiade »)

SEN (Amartya) (2003), L’économie est une science morale (1ère éd. : 1999), Paris, La Découverte, 126 p. (Coll. « La Découverte/Poche »)

SILEM (Ahmed) (1995), Histoire de l’analyse économique, Paris, Hachette, 319 p. (Coll. « HU Économie »)

SIMMEL (Georg) (1987), Philosophie de l’argent (1977), tr. fr. par S. Cornille et P. Ivernel, Paris, P.U.F., 662 p. (Coll. « Quadrige »)

ZELIZER (Viviana) (2005), La signification sociale de l’argent (1994), tr. fr. par C. Cler, Paris, Seuil, 349 p. (Coll. « Libr »)

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