Sur le pont camarade

L’ARGENT (1)

Un débat récent sur la réforme des droits de succession invite à réfléchir, de façon plus générale, à ce qu’est l’argent, à son rôle dans la société, à ce qu’il représente

L’argent est un signe

Comme tous les signes, l’argent est conçu pour circuler, pour échanger, il n’est pas conçu pour être accumulé, même par tout le monde. L’argent est un signe : il représente la valeur assignée à un bien par une société dans des échanges commerciaux (son prix) ou celle    qui est reconnue à un travail (le salaire, la valeur d’une main d’œuvre artisanale, la valeur d’une consultation médicale ou juridique). En ce sens, pas plus que l’on n’accumule les mots, on n’accumule l’argent : ce que l’on appelle thésauriser ne sert à rien.

L’argent dans la communication

Pour toutes ces raisons, l’argent s’inscrit dans la logique de la communication et du symbolique, pas dans celle de la richesse. L’argent est là pour circuler, pour être échangé, pour produire du sens : sa place est celle d’un signe dans la communication. Il n’a pas de valeur réelle, sa seule valeur est symbolique, comme l’avait montré J.-J. Goux dans un live remarquable écrit il y a longtemps, Économie et symbolique. En représentant une valeur, l’argent a sa place dans un langage, dans un système symbolique. C’est, d’ailleurs, pourquoi la monnaie, qui est, elle aussi un signe dans un système symbolique, dans une « langue », puisque chaque pays a la sienne, représente l’argent qui circule dans les pratiques de communication et d’échange.

C’est ainsi que nous sommes confrontés à la veille histoire de l’opposition entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. La valeur d’usage est la valeur réelle d’un bien : elle représente ce que l’on peut en faire dans nos pratiques sociales (le manger, y habiter, le lire, le voir au cinéma, etc.). En revanche, la valeur d’échange est la valeur symbolique d’un bien : elle représente la valeur qui lui est reconnue par une société. Même si l’on ne peut rien en faire, un bien peut avoir une grande valeur (même si l’on n’aime pas les bijoux, ils ont ne grande valeur. Mon ours en peluche a, pour moi une grande valeur d’usage (il est porteur de tous mes souvenirs d’enfant), mais sa valeur d’échange est nulle, puisque, si j’essaie de le revendre au marché aux puces, je n’en tirerai pas grand-chose.

Le capital : la confusion entre argent et identité

Ce qui définit le capitalisme, c’est que, dans ce système économique, le    « capital » confond l’argent et l’identité (« caput », la tête, l’individu). C’est l’argent dont je dispose qui fonde l’identité par laquelle je suis reconnu par l’autre. En ce sens, le capitalisme, qui est né de l’économie de marché, confond l’argent et l’identité : je ne me vois reconnaître une véritable identité, une identité réelle, qu’à la mesure de l’argent dont je dispose. C’est ce qui explique l’importance du débat sur l’héritage : de la même façon que je fonde mon identité sur la famille dont je suis issu, le capitalisme fonde mon identité économique sur l’héritage dont je suis porteur.

Mais c’est aussi pourquoi l’idée d’une dotation universelle en capital, proposée par T. Piketty, sous couvert d’égalité, est en réalité, un piège, car elle empêche que notre économie se libère de l’emprise du capitalisme.

La distinction entre riches et pauvres : une question d’identité

L’identité psychique, singulière, se fonde sur l’expérience du miroir : je fonde mon identité sur la reconnaissance que j’ai de l’identité de l’autre. En revanche, l’identité politique se fonde sur la confrontation : je suis de gauche parce que m’oppose à la droite, je suis chrétien parce que je m’oppose aux musulmans, je suis athée parc que je m’oppose à tous ceux qui fondent leur identité sur leur croyance, je suis salarié parce que je m’oppose au parton. Dans la distinction entre riches et pauvres, l’argent échappe à son rôle, qui est de représenter la valeur d’un bien dans sa circulation, pour signifier une question d’identité, pour représenter l’identité de ceux qui en sont porteurs. Je suis riche parce que j’ai beaucoup d’argent, ou je suis pauvre parce que je n’en ai pas beaucoup. C’est pourquoi l’argent est, en quelque sorte, dévoyé de sa fonction initiale : au lieu de représenter une valeur, il représente une identité. Rappelons ici, tut de même, que, dans le discours de Marx, l’opposition entre la bourgeoisie et le prolétariat ne se fonde pas sur une distinction entre riches et pauvres, mais représente une confrontation politique dont l’enjeu se fonde sur la relation au capital et au pouvoir.

Les trois façons de faire circuler l’argent comme signe

Définissons, à présent, les trois manières de faire circuler l’argent comme un signe, de l’inscrire dans des logiques de communication.

La valeur d’usage est celle de l’argent dans la consommation et dans la vente et l’achat de biens dans les pratiques commerciales. Un bien va avoir une grande valeur d’usage dans la communication, c’est-à-dire le marché, parce qu’un grand usage sera fait de lui dans les pratiques sociales collectives. Le marché est l’espace politique des échanges économiques dans lequel les acteurs s’échangent des biens suivant des codes qui fixent les valeurs d’usage symbolique.

C’est le rôle de la fiscalité de fixer la valeur d’échange de la richesse de quelqu’un ou de la valeur d’un bien dans ses relations avec les autres. L’impôt sur le revenu désigne ce que nous payons à l’État, c’est-à-dire à l’institution qui régule nos relations avec les autres : il    est établi proportionnellement à l’argent dont nous disposons. Les autres impôts désignent ce que nous payons aux divers acteurs de l’État selon nos diverses activités sociales (se loger, posséder des biens immobiliers ou fonciers, etc.) pour leur permettre d’exercer leurs missions de régulation et de médiation des rapports sociaux.

La valeur du travail est représentée par le salaire : c’est la salaire qui fixe la valeur reconnue à mon travail par mon employeur, et c’est ce qui me permet de vivre dans une société civile, c’est-à-dire dans une société de citoyens qui exercent leur fonction par le travail qu’ils mettent en œuvre.

Nous poursuivrons la semaine prochaine cette étude consacrée à la signification politique de l’argent.

Bernard L.

1 réflexion au sujet de « L’ARGENT (1) »

  1. J’aimerai que les articles soient signés et si possible accompagnés de brèves références bibliographiques. Merci.

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