Nous recevons cette fois-ci, Roselyne Bouriche de l’Institut de l’Histoire Sociale CGT du Vaucluse.
L’IHS vient de publier son numéro 35 de mai 2021 dédié à la Commune de Paris à ses répercussions notamment à Avignon et dans le Vaucluse.
Association loi 1901 créée, au niveau national, par Georges Seguy en 1982. Elle reçoit le soutien de la CGT. Son but :
- sauvegarder et valoriser les archives de la CGT et les ouvrir aux chercheurs.
- Organiser des colloques, des conférences, des séminaires.
- Publier des brochures, revues, cahiers…
Depuis tout un réseau d’associations indépendantes de l’IHS national a été crée. L’IHS du Vaucluse l’a été en 1986. Avec comme devise : ” savoir d’où on vient pour comprendre le présent et mieux envisager le futur “.
Active pendant 10 ans elle a connu une éclipse jusqu’en 2006 date à laquelle elle a repris du service.
L’IHS du Vaucluse se donne modestement les mêmes objectifs que le national.
On peut adhérer à cette association individuellement pour la somme de 10 euros, sans être affilié à la CGT. Les syndicats et UL CGT adhérent aussi collectivement.
Chaque adhérent reçoit gratuitement, en principe deux fois par an, un bulletin.
Pour les 120 ans de la CGT, avait été publié ” sur les chemins du premier siècle” à l’initiative d’un collectif dirigé par André Castelli.
L’IHS 84 organise aussi des expositions et des conférences débats, souvent en partenariat avec notamment les Amis de l’Humanité et Femmes Solidaires.
Roselyne a surtout travaillé pour cela sur les archives du Conseil Municipales d’époque et les journaux de la presse dont a elle pu trouver trace : l’étoile de Vaucluse, journal monarchiste.
Pour la partie locale
Elle a parcouru à la médiathèque Ceccano des ouvrages comme
- La Résistance vauclusienne au coup d’État de décembre 1871 d’Aimé Autran et du même auteur Statistiques des élections parlementaires et des partis politiques de 1848 à 1928.
- le n°18 des Études contadines
- sous la direction de René Grosso. Les vauclusiens dans la vie nationale de 1793 à nos jours.
Elle a dépouillé des archives :
- les comptes rendus des conseils municipaux de 1869 à 1871 aux archives municipales. J’en profite pour remercier monsieur Clap, son directeur, pour l’aide qu’i m’a apportée.
- La presse locale : L’étoile de Vaucluse, journal monarchiste, disponible à la médiathèque Ceccano ; le Mérional et le seul exemplaire de la démocratie du midi disponible aux archives départementales. Donc des journaux monarchistes ou de droite.
Elle n’a pas trouvé de rapports de police ou autres documents qui m’auraient donné un état de l’opinion que je n’ai fait qu’entrevoir dans la presse hostile à la République.
Pas trouvé ne voulant pas dire que rien n’existe et que si je n’avais pas été pressée par le temps ( recherches commencées en mars ) j’aurais peut-être trouvé.
Alors la Commune de Paris : Mythe ou réalité ?
1- Mythe ou réalité ?
Michel Vinock, par exemple, souscrit à l’idée d’un mythe largement diffusé par Karl Marx et Frederic Engels.
Il ne nie pas qu’il y ait eu une lutte de classes entre Versailles et Paris mais il minimise la portée inventive et inovante des mesures prises au cours de ces 72 jours d’exitence, pour mettre l’accent sur la génése de cette expérience qu’il dit avoir eu trois temps : la défense de la Patrie ( comme en 1792 ), la défense de la République et des mesures sociales qu’il juge limitées dans un Paris où dominent les couches populaires après la fuite de la bourgeoisie consécutive au siège de Paris qui affame le peuple.
Pour Lugdivine Bantigny, s‘il y a eu plus de 10 000 morts laissés sur les pavés de Paris, c’est parce que le pouvoir populaire a expérimenté une démocratie vivante et des mesures “ pour changer la vie” ( Arthur Rimbaud.) et ceci malgré la repression et les difficultés financières engendrées par le gouvernement de Thiers et des Versaillais qui avaient une détestation de la Commune et redoutaient une Révolution de plus grande ampleur.
Ces mesures sont en effet limitées, mais l’expérience n’a duré que 72 jours, dans une France où 43 départements sont occupés par les prussiens qui font le siège de Paris, la bombardent et aident Thiers dans le déclenchement d’une guerre civile et sa répression des communards.
Mesures symboliques :
- adoption du drapeau rouge.
- destruction de la colonne Vendôme, érigée par Napoléon pour commemorer Austerlitz et décapitation de sa statue qui le représentait en César.
- Saisie des propriétés de Thiers.
Mesures économiques d’inspirations socialistes :
- remise des ateliers abandonnés aux travailleurs associés.
- Priorité aux coopératives ouvrières pour la fourniture de l’Etat.
Gestion des services publics :
- Elle n’arrive pas à faire élire les fonctionnaires mais organise leur recrutement.
- Elle ne s’empare pas de la Banque de France par légalité républicaine et devra donc lui emprunter les sommes nécessaires au financement de ses projets ( d’aucuns diront que c’est une des causes de son échec ).
- abolition du serment politique et du serment professionnel
Mise en place de premier éléments d’un code du travail par
- l’abolition des amendes patronales,
- la garantie d’une salaire minimum,
- la réorganisation des bureaux de placements, l’abolition du travail de nuit des boulangers,
- l’égalité des salaires entre instituteurs et institutrices.
Destruction des instruments de l’ancien pouvoir:
- abolition de l’armée permanente et de la police remplacées par le peuple en armes au sein de la Garde nationale
- gratuité des juges élus
Séparation de l’Eglise et de l’Etat
- budget du culte supprimé
- école laïcisé
Instruction gratuite obligatoire et laïque
- traiement des instituteurs et institutrice à 2000 frs
- ouverture d’une école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles
- enseignement intégral alliant l’esprit qui conçoit et la main qui exécute” ( Edouard Vaillant)
Culture pour tous :
- gestion des musées, des théâtres, l’organisation des spectacles pour le peuple confiés à une fédération d’artistes dont le peintre Gustave Courbet est le président
- Théâtres considérés comme des grands établissements d’instruction.
Libertés individuelles et collectives réaffirmées
Liberté de la presse garantie mais interdiction des journaux qui avaient appelé à la répression malgré l’opposition de jules Valles, fondateur du Cri du peuple.
mesures sociétales
- reconnaissance du droit au divorce.
- reconnaissance de l’union libre.
- suppression de la mention illégitime pour les enfants nés hors mariage.
Mais malgré leur participation à une commission de travail les concernant il n’y eu pas d’avancée sur le droit de vote des femmes et à l’égalité de leur salaire avec les hommes.
L’article du numéro spécial de l’Humanité Dimanche met l’accent sur les femmes dans la Commune.
Aube ou Crépuscule ?
La Commune de Paris est-elle ” l’aube des révolutions modernes” qui ouvre la voie à la Révolution russe de 1917 du fait de son gouvernement à majorité ouvrière ( mon article aborde la composition idéologiquement hétérogène du conseil général de la commune où dominent les jacobins et où prouhoniens et internationalistes sont minoritaires ) ou est-elle la dernière révolution du XIX° siècle en raison de son lien avec la Révolution française ?
Je n’ai pas les compétences pour trancher ce débat qui a commencé dès les lendemains de l’écrasement de la Commune et se poursuit encore.
Je ne donnerai ici que quelques éléments très schématiques en ne disant que quelques mots sur les jugements portés par 4 des grands penseurs du mouvement ouvrier.
Qu’en ont dit Marx, Bakounine et Jaurès…et Gramsci ?
Marx, écrit en février 1871 que la classe ouvrière se trouvait placée dans des circonstances extrèmement difficiles” et que l’insurrection ” serait une folie désespérée. Mais au moment des faits, il soutient les communards dont il suit, au jour le jour, l’action. Franckel et Varlin lui font même parvenir une missive secrète pour lui demander des conseils.
Puis, dès juin 1871, dans La guerre civile en France, il fait de la Commune de Paris la première tentative de prise du pouvoir par la classe ouvrière. Pour lui c’est un évènement d’une importance historique universelle qui a fait entrer la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son Etat dans une nouvelle phase.
En 1881, avec les desillusions qui suivent la défaite des communards, son analyse évolue, il pense que la Commune n’a pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginé et estime que la seule chose possible alors aurait été d’obtenir un compromis avec Versailles qui soit favorable à la masse du peuple. Il en tire la conclusion ” qu’il ne faut pas prendre ou occuper la machine d’Etat mais la briser ” pour que le prolétariat, qui doit se constituer en parti politique mette en place son propre pouvoir étatique.
Bakounine est en exil en Suisse quand éclate la Commune de Paris. Il a agi en amont pour préparer l’insurrection de Lyon en signant la proclamation de la Fédération révolutionnaire des Communes appelant au soulèvement de la première Commune de Lyon le 26 septembre 1870. Cette proclamation fut imprimée sous la forme d’un affiche rouge (
En juin 1871, dans un avertissement servant de préambule à une seconde livraison de L’Empire knouto-germanique et la révolution sociale il salue dans la Commune ” une négation audacieuse, bien prononcée de l’État ” qui a cherché “ par l’émancipation du travail, l’émancipation définitive de l’Humanité ” . Mais il déplore la prédominance des jacobins qui n’ont pas poussé à prendre les mesures nécessaires à la victoire. Dans les mois et les années qui suivent, Bakounine évoque la Commune comme la première révolution sociale, il rend hommage à certains de ses membres, tout particulièrement à Eugène Varlin “l’homme le plus éminent de la Commune de Paris” mais déplore qu’elle ne se soit pas attaquée aux poches des bourgeois et n’ait pas propagé la révolution en province
Jaurès, en 1895 décrit d’abord la Commune comme un combat fratricide. Mais il estime ensuite qu’elle fut glorieuse et féconde et qu’il faut la célébrer car elle a sauvé la République, entretenu dans la classe ouvrière française cette tradition d’audace et d’espoir qui en fait la dignité et la force. Il met au crédit de la Commune de futures réformes laïques, sociales et démocratiques : loi 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, lois sur l’instruction publique, gratuite, laïque et obligatoire pour les filles et les garçons, réduction de la journée de travail…
Gramsci explique que ce n’est qu’en 1870-71, avec l’expérience de la Commune qu’arrive à son dénouement historique tout ce qui en 1789 n’était qu’en germe. Pendant la période 1789-1871, au cours d’une série de crises, de bouleversements sociaux et politiques la bourgeoisie a réussi à assurer sa domination et c’est parce qu’elle a considéré que son hégémonie était menacée qu’elle a écrasé la Commune. Il pense que le prolétariat doit s’imposer comme groupe dirigeant avant la prise du pouvoir comme la bourgeoisie l’a fait avant la Révolution française. En effet le siècle des lumières avait diffusé une nouvelle conception idéologique permettant à la bourgeoisie de se constituer en bloc historique face à l’hégémonie de l’aristocratie.
Il estime qu’en 1871, le prolétariat n’a pas encore su vaincre l’hégémonie de la bourgeoisie.
Quentin Deluermoz, (Commune(s) 1870-1871.Editions du Seuil. Avril 2020), montre la complexité de la question et avance ” ni aube , ni crépuscule”.
Et dans le Vaucluse, que s’y passe t’il ? Et à Avignon ?
Juste savoir qu’il n’y a pas eu de Commune d’Avignon même si à un moment, entendant le tocsin sonner les avignonais ont un moment pensé qu’il l’annonçait ( mais ce n’était qu’un incendie).
Un drapeau rouge, d’après la presse ( source non confirmée par d’autres) aurait été hissé sur l’Hotel de ville de Velleron ( pendant deux mois) et sur celui de Villes sur Auzon et ce qui voulait ressembler à la proclamation d’une Commune eut lieu pendant quelques heures à Vedènes le 28 avril 1871.
Alors que s’est-il passé dans le Vaucluse pendant que Paris était en Révolution ?
Je me dois de préciser les limites de mes recherches centrées sur Avignon. Et j’invite les camarades qui habitent dans d’autres localités à aller dépouiller leurs archives municipales qui ne sont pas toutes conservées aux archives départementales.
Il convient de rappeler que depuis 1848 le département est majoritairement républicain ( 4 députes sur 5 )
Qu’il y a eu des mouvements insurrectionnels après le coup d’État de décembre 1851. Mais que le rétablissement de l’Empire y a été largement approuvé ( en partie expliqué par les pressions sur l’électorat, les candidatures officielles ).
Les Républicains vauclusiens appartiennent souvent à des sociétés secrètes encore très actives. Elles sont issues de la charbonnerie ou de le Franc-maçonnerie. Par exemple Alphonse Gent ( celui qui a proclamé la République à l’Hôtel de ville d’Avignon en 1848) avait créé ” la nouvelle Montagne” ( inspiré par Blanqui et Barbès).
Quand la République est proclamée le 4 septembre 1870 à la suite de la capitulation de Napoléon III, face aux prussiens, à Sedan, le Vaucluse se montre favorable à la poursuite de la guerre ( que Thiers lui veut arrêter ). Il va se montrer pro garibaldien. Garibaldi va prendre la tête de l’armée des Vosges et des corps francs vont être formés pour combatte à ses côtés. Le Vaucluse envoie des hommes ( on note la démission d’un conseiller municipal d’Avignon pour les rejoindre ). Garibaldi est reçu triomphalement à Avignon dont il est fait citoyen. Une souscription est organisée pour lui offrir un cheval de bataille. D’après un article de Raymond Chabert dans les Etudes sorguaises, la même chose est décidée à Sorgues. Des crédits sont voter pour les “garibaldiens”.
De mon poste d’observation qu’ont été les délibérations du conseil municipal ( appelé Commission exécutive républicaine dont Camille Bourges est le citoyen président ) je retiens celle du 24 mars 1871 qui montre bien la position des édiles municipaux d’Avignon. En effet, d’une part, ils estiment que depuis le 4 septembre le gouvernement a été trop indulgent avec ceux qui étaient dévoués au régime impérial et pensent que le gouvernement de Versailles veut en fait en finir avec la République. Ils l’accusent de forfaiture pour avoir fait appel aux forces prussiennes pour exécuter ses actes. D’autre part, ils ne se prononcent pas pour la Révolution à laquelle l’importance secondaire de la ville d’Avignon ne lui permet pas d’apporter un soutien effectif. Pour eux, seule la forme républicaine et le peuple souverain peuvent ramener la prospérité.
Mais selon Louis Guerin, directeur de l’Etoile de Vaucluse, Bourges, Alphandéry et Meynaud auraient soutenu la Commune de Paris.
Ils condamnent la guerre civile au nom de l’humanité et pensent qu’elle pourrait cesser si l’Assemblée nationale prenait des mesures vraiment républicaines.
Notons à propos de cette Assemblée Nationale élue en février 1871, qu’elle est à majorité monarchiste. Que le Vaucluse y avait lui envoyé 5 Républicains mais que les élections avait été invalidées à la suite de fraudes ( pressions de certains “montagnards” sur les électeurs, vote de ” garibalbiens” qui n’en avaient pas le droit ) et que le Vaucluse n’y aura plus de représentants car dans la France en partie occupée, par la Prusse organiser des élections devient impossible. D’ailleurs, les élections municipales qui peuvent avoir lieu à Paris n’auront as lieu en province ).
Pour résumer car il faut en finir et ne pas tout révéler, la commission exécutive républicaine qui siège a Avignon n’avait pas semble-t-il en son sein des ” révolutionnaires” influencés par des idées ” socialistes “. Le Républicanisme des élus est plutôt teinté de jacobinisme ( par exemple la commission réclame que la guerre se poursuive et que l’Assemblée Nationale soit remplacée par un comité de Salut public ). Certaines de leurs mesures ( ateliers de charité renommés ateliers municipaux pour donner du travail aux chômeurs, travaux de construction d’un pont de pierre pour le même objectif ) rappellent celles adoptés pendant la Révolution parisienne de 1848.
Cette commission est anti monarchiste, anti bonapartiste. Elle s’oppose à Thiers. Mais elle n’est pas pour autant complètement favorable à la Ligue du midi ( qui était un comité républicain formé à Marseille le 18 septembre 1870 et regroupait quatorze départements du Sud de la France et de la vallée du Rhône, dans le but de défendre la Troisième République. Accusée de séparatisme, la Ligue est dissoute le 28 décembre 1870. Alphonse Gent en était le commissaire général.).
Quant le 16 mai, le conseil municipal reçoit un adresse d’habitants qui réclament à Thiers la liberté communale sans laquelle il n’existe pas de République…le droit pour chaque commune de se gérer elle même sans cesser d’être unie aux autres communes au sein de l’unité nationale, qui propose la suppression de l’armée permanente qui serait remplacée par une fédération des gardes nationaux qui éliraient librement leur chef. Elle demande au conseil municipal d’Avignon de se prononcer pour rejoindre les délégués qui se réuniront à Lyon, le conseil municipal donne son accord. Mais cette adresse renvoie dos à dos les Versaillais et les communards demandant la dissolution de l’Assemblée nationale et de la Commune de Paris.
On passe sur les élections municipales du début mai 1871 où sont présentées au deuxième tour des listes de conciliation qui font siéger au dire de l’Étoile de Vaucluse des ” sans culottes” et des Républicains très modérés.
Finalement Paul Poncet, industriel, soutenu par la bourgeoisie, qui avait été désigné par le pouvoir exécutif comme maire en 1865 ( les maires n’étaient alors pas élus ) redevient maire ( Bourges reste conseiller municipal mais mourra l’année suivante à 58 ans ). Il sera évincé avant la fin de son mandat et la mairie sera gagnée de nouveau par un légitimiste.