Une récente polémique initiée par notre secrétaire national a opposé la « gauche du travail » à la gauche de l’assistanat.
Des primes pour compenser la faiblesse des salaires
Pour comprendre cette polémique, il faut se replonger dans cette tribune d’Aurélien Purière.
Il relève que Marx avait déjà noté dans Le Capital : « A la fin du XVIIIe siècle et pendant les vingt premières années du XIXe, les fermiers et les landlords [propriétaires terriens] anglais rivalisèrent d’efforts pour faire descendre le salaire à son minimum absolu. A cet effet, on payait moins que le minimum sous forme de salaire et on compensait le déficit par l’assistance paroissiale » (Livre I, les Editions sociales, 2016 [1867], p. 583-584).
Il note que les primes, à commencer par la prime pour l’emploi dispensé sous Jospin en 2001 pour continuer par la prime Macron versée au nom de la solidarité nationale pour faire face à l’inflation, viennent compenser la faiblesse des salaires.
Vous conviendrez que c’est pratique pour les employeurs ! Ils se dispensent ainsi d’augmenter les salaires et peuvent évoquer les primes en réponse aux revendications de hausses salariales. C’est d’ailleurs la réponse donnée par les patrons de ETEX à Mazan cet été aux grévistes qui demandaient des hausses de salaires : vous avez déjà le droit à des primes !
Dans une autre tribune dans le Monde, Nicolas Devoux croyant dénoncer les propos de Roussel lui donne en fait raison. Depuis plus de 20 ans, avec le développement du précariat et des trappes à bas salaires, les travailleurs ne vivent plus de leur travail et en sont atteint dans leur dignité.
Baisses des « charges » = baisse du salaire brut = diminution de prestations
Cette non-revalorisation des salaires nets due aux primes a son pendant sur l’ensemble du salaire brut : la baisse des « charges ».
Là encore, c’est un cadeau aux patrons. Exonération Fillon sur les cotisations sociales (charges en langage patronal), CICE etc..
En baissant les « fameuses charges » c’est à dire les cotisations sociales qui ouvrent des droits aux assurances sociales, c’est l’édifice sur lequel repose la solidarité nationale qui est en péril. La sécurité sociale finance les hôpitaux : on fait payer un forfait urgence, on pressure l’hôpital etc…. La solidarité en est diminuée.
Pour l’assurance chômage notamment, il a fallu raboter ces droits pour compenser les pertes de recettes liées aux baisses de cotisation.
A force de raboter…
Le RSA mis en place par la deuxième gauche de Rocard est pensé comme un pansement sur une jambe de bois pour faire face au dégât social du chômage … C’est une solidarité qui repose sur la générosité de l’Etat. Dominique Méda sur twitter feignant de ne pas comprendre le problème, notait tout de même que « les allocataires du RSA ont vu leur nombre gonfler à mesure que l’indemnisation chômage réduisait sa couverture. Le RMI est devenu la troisième composante de l’indemnisation chômage. On a transformé des chômeurs en pauvres. »
Dans un contexte de chômage de masse
Ce mouvement qui évite aux patrons d’augmenter les salaires va de pair avec un développement du chômage de masse. La mondialisation cautionnée par beaucoup (souvenez-vous de ceux qui ont voté Maastrich !) laisse des traces. Dans sa tribune, toujours au Monde, Fabien Roussel chiffrait : l’industrie représentait 24% de notre PIB en 1980 et seulement 10% en 2019. Notre flotte de pêche est passée de 11 500 bateaux en 1983 à 4500 aujourd’hui. Quant à la saignée paysanne, elle nous a fait passer 1 263 000 exploitations agricoles en 1979 à 429 000 en 2017. Résultat : 5 millions de privés d’emplois, 2 millions de bénéficiaires du RSA, 4,5 millions de primes d’activité versées par la CAF. Et 10 millions de Français sous le seuil de pauvreté.
Ce chômage de masse a aussi permis au patronat de mettre une pression énorme sur les salariés en poste.” La grande industrie nécessite en permanence une armée de réserve de chômeurs pour les périodes de surproduction. Le but principal de la bourgeoisie par rapport à l’ouvrier est, bien sûr, d’obtenir le travail en tant que matière première au plus bas coût possible » écrivait Karl Marx, Travail salarié et Capital, décembre 1847.
Quelles réponses communistes ? La sécurité sociale
La sécurité sociale d’abord ! Mis en place par Ambroise Croizat en 1946 celle-ci est pensée comme un gros pot commun dans lequel les salarié·e·s versent un tiers de leur salaires pour faire face aux aléas de la vie. Ce pot commun est pensé comme partie intégrante des salaires : ce sont donc aux salariés de le gérer. Le patronat n’aura de cesse de lutter contre la sécurité sociale en mettant en avant des « déficits » et réclamant une gestion paritaire, en la saucissonnant pour mieux en livrer des pans entiers à des assurances privées…
Au début des années 90, une des solutions pour financer la sécurité sociale par la deuxième gauche de Michel Rocard est de créer la CSG. C’est à dire que la Sécurité Sociale n’est plus seulement financée par les cotisations, (donc par l’employeur), mais sur le salaire net de l’employé, (donc par l’individu). On découple solidarité et travail.
La Sécurité Sociale est donc en bonne santé lorsqu’il y a plein emploi et que les cotisations sociales (« les charges ») sont bien versées. Rappelons qu’il n’y a pas de cotisations versées sur les primes !
La Sécurité Emploi Formation ou le l’État employeur en dernier recours ?
Plus les salarié·e·s étaient pressurisé·e·s et plus les personnes éloignées de l’’emploi parce qu’âgées, handicapées etc. se retrouvent dans une précarité organisée et voulue.
Il y a plusieurs types de réponses à ce problème. Une solution communiste consiste à ne pas abandonner une ambition pour tous. Nous proposons donc d’étendre la sécurité sociale à une branche « formation » pour que les personnes n’ayant pas accès à l’emploi puissent se former et trouver un travail épanouissant. Ce n’est pas le cas par exemple d’un projet de revenu universel.
Du revenu universel de Benoît Hamon à la protection sociale étatisée — parce que le financement est entièrement financé par la CSG (dans le programme de Mélenchon par exemple)–, il y a effectivement des différence d’appréciation sur les solutions à apporter.
Les gauches sont multiples et ont des approches philosophiques différentes. Une, marxiste, s’applique à ce que la création de richesse créée par les travailleurs soient directement gérés par eux-même et estime que l’appropriation des richesses par quelques uns est cause du grand désordre du monde. L’autre, humaniste, considère qu’il faut prendre soin des victimes du capitalisme et que l’État doit être un outil de régulation et d’atténuation du capitalisme.
Le débat entre ces deux gauches doit pouvoir se mener sans anathème et faux procès. Ce n’est pas parce que le PCF veut l’éradication du chômage et la fin du précariat généralisé qu’il s’en prend aux bénéficiaires du RSA ou aux chômeurs. Il fallait que ce soit dit !