Sur le pont camarade

Crimes, délits, délinquance, incivilités : La réalité, les commentaires et les objectifs inavoués du gouvernement et de ceux qui le soutiennent.

Septembre 2020, les élections présidentielles sont encore loin mais déjà le thème de l’insécurité fait la une de l’ensemble des médias et des déclarations gouvernementales. Motif, les chiffres des crimes, meurtres, assassinats, homicides, ont explosé en 2019 par rapport aux années précédentes avec le chiffre record de 970 victimes (chiffre de janvier 2020 du ministère de l’intérieur) avec une augmentation de +8% sur 2018. D’un coup pour les télévisions, les journaux, les radios, le sujet le plus important durant des semaines aura été : «  Insécurité et ensauvagement ». Et puis fin septembre le ministère diffuse un communiqué passé presque inaperçu : On s’est trompé, le vrai chiffre est de 880 victimes. Une « petite erreur » de 90 morts soit 10 % du total. Question : comment les services du ministère de l’intérieur peuvent-ils se tromper à ce point sur le nombre (de morts) qui semble (hélas !) être le plus facile à calculer ? Incompétence ou manipulation ?

Dans les faits, si l’on compare les chiffres officiels, on observe une relative stabilité, à un niveau bien sûr trop élevé, des crimes et délits depuis 2012 à nos jours. Mais bien évidemment ce constat ne cadre pas avec la stratégie, le discours et les objectifs du gouvernement. Ces objectifs nous les connaissons : 1°/ Focaliser le débat sur les questions de sécurité 2°/ Diffuser un large sentiment d’insécurité dans la population 3°/ Faire passer les questions sociales et environnementales au second plan 4°/ Adopter des postures d’indignation et de fermeté 5°/ Assurer un duel MACRON – LE PEN à la présidentielle.

Ivan Kliun Self-portrait with a Siwe ( Nonobjective Composition) 1914Madrid Musée de la Reine Sofia Photo JL Mazières

La gauche (pas toute), mal à l’aise sur le terrain de la sécurité, laisse souvent le champ libre à la droite et l’extrême-droite qui développent presque sans contradicteurs leurs thèses alarmistes avec force démagogie et amalgames. Sans oublier, pour le gouvernement, une plus grande facilité à adopter et faire accepter par la population de nouvelles lois liberticides qui peuvent viser les délinquants (très peu les délinquants économiques) mais aussi les syndicats, les associations qui dérangent, le mouvement social en général. Pourtant l’insécurité est un vrais sujet qui inquiète les Français et qui touche en premier les plus faibles, les exclus, les plus pauvres. Les délinquants proviennent très majoritairement de milieux défavorisés, les victimes aussi. Ce doit être un véritable objectif de faire reculer les crimes, les délits, les incivilités. Pour cela il faut d’abord faire les bons constats et utiliser les bons remèdes.

Une multitude de chiffres bruts, provenant des ministères ou d’organismes sérieux, sont en ligne sur internet. Chiffre de la criminalité de la délinquance en France, par ville, dans le monde, enquêtes sur le ressenti des populations, courbes, graphiques, montrant l’évolution depuis des décennies, nombres de personnes en prison, en France, par pays, par région. Tout y est …

Essayons donc de nous forger notre propre opinion à partir de ces données. Ce n’est pas simple, surtout si l’on est accroc aux médias «  dominants » (télévisions et radios publiques ainsi que les télévisions, radios et presse privées appartenant ou contrôlées par nos 10 milliardaires). On n’y compte plus les reportages (en début de soirée) sur la police ou la gendarmerie en action, dans les villes, les quartiers « difficiles », à la campagne, sur les plages, l’été, l’hiver, la nuit, le jour. On n’y compte plus les émissions, les débats (où tout le monde ou presque a le même avis et le même discours y compris le journaliste qui anime le pseudo débat) avec témoignages et experts de tous horizons et de toute confessions avec la présence inévitable de députés de droite et d’extrême-droite et celle incontournable du syndicat de police avec une préférence pour Alliance classée à la droite de la droite (le droit de réserve des fonctionnaires est à géométrie variable). Comme on dit, sur ce sujet, ils n’hésitent pas à mettre le paquet ! Vous avez dit anxiogène ?

Résultat, si on est convaincu par leurs constats, analyses et propositions :

1er On affirme que les crimes, les délits, les violences, les vols, la délinquance, le trafic de drogue, les incivilités explosent.

2ième On en connait les raisons : les lois ne sont pas assez sévères, elles ne sont pas appliquées, les juges sont laxistes, les délinquants sont arrêtés par la police le lundi, remis en liberté le mardi (et pourtant les prisons sont surpeuplées), la police et les institutions ne sont plus respectées, les forces de l’ordre n’ont pas assez de moyens, l’école, les familles ne remplissent plus leur rôle d’éducation et de formation des citoyens et enfin, immigration et Islam sont évidemment au cœur du problème. Résultats selon eux : mise en danger véritable et donc angoisse légitime des bons citoyens d’un côté, impunité pour les délinquants de l’autre (et j’ajouterai si je faisais du mauvais esprit, vote à droite et à l’extrême droite aux prochaines élections).

3ième On réclame la mise en œuvre de mesures sécuritaires, sanctions immédiates, peines lourdes, prison, exclusion, augmentation des moyens de la répression.

Bien entendu si tout n’est pas faux dans le constat, notamment le délabrement de l’institution judiciaire, c’est au niveau des conclusions, des explications, des causes et enfin et surtout des remèdes que ça sent l’arnaque à plein nez.

Alors reprenons tout par le début et essayons d’y voir plus clair.

Une remarque préliminaire, si les faits de délinquance crimes et délits explosaient véritablement depuis plusieurs décennies en France, cela signifierait que les politiques sécuritaires des gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays n’ont été qu’une succession d’échec. Mais alors ! Les déclarations de guerre, les coups de menton des PASQUA, SARKOZY, VALLS, CASTANER et du petit dernier DARMANIN pour ne citer que les plus médiatisés, n’étaient que du cinéma ? Les menaces contre les sauvageons, les racailles, les sauvages, n’ont été suivies d’aucun résultat ? ET bien oui c’est bien la conclusion qu’il faut en tirer ! La palme d’or des déclarations dont le seul but est de plaire à son électorat en l’effrayant pour mieux le rassurer (la palme d’honneur du meilleur chef d’État étranger revenant à TRUMP) est bien sûr attribuée à SARKOZY qui déclare la guerre aux  «  racailles » dans les quartiers et dans le même temps diminue les effectifs des forces de l’ordre et supprime la police de proximité (austérité oblige).

Venons-en aux chiffres, ceux qui font consensus et que l’ont trouve dans les statistiques et rapport du ministère de l’intérieur (donc pas suspect d’être produits pas des officines gauchistes).

En 2012 le nombre de crimes et délits enregistré par la police était de 3 477 301 en 2019 il était de 3 777 828. Dans le détail, les homicides (règlements de compte, dans le cadre d’un vol, de coups et blessures ayant entrainé la mort et autres motifs) sont au nombre de 870 en 2012, 905 en 2016, 886 en 2018. Je vous rappelle ici que les chiffres des homicides 2019 après correction sont de 880.

Remarque il n’y a pas de statistique pour les incivilités qui ne font pas l’objet de sanction ou de rapport.

De l’examen des chiffres brut que l’on trouve sans difficulté sur internet on peut affirmer :

1° / Il n’y a pas d’explosion du nombre des crimes et délits de 2012 à 2019 mais au contraire une relative stagnation.

2°/ Les politiques sécuritaires annoncées et mise en œuvre avec une multitude de nouvelles lois depuis 2012 n’ont eu globalement aucun d’effet.

3°/ Le nombre d’homicides en France a été divisé par deux depuis 20 ans. Il y a 20 ans on comptabilisait 1400 homicides par ans. Les crimes et délits ont fortement progressé depuis les années 60 pour diminuer au début des années 2000 et stagner au début des années 2010. Non ce n’était pas mieux avant !

4°/ Les chiffres de chaque catégorie de délits évoluent en fonction des évolutions de la société, explosion du trafic de drogue, baisse des vols de voitures (qui sont mieux protégées), disparition des attaques de banque (il n’y a plus d’argent dans les banques), augmentation des violences familiales et d’agressions sexuelles ( les victimes déposent plus de plaintes et de signalement) pour ne prendre que des exemples significatifs.

Maintenant regardons toujours à partir des chiffres, comment se situe la France en Europe et dans le monde. En Europe la France avec, environ, un taux d’homicide annuel de 1,4 pour 100 000 habitants (2018) se situe en dessous de la Belgique et de la Hongrie (pays sans immigré), légèrement au dessus de l’Allemagne, de la Suède, du Royaume-Uni, nettement au dessus de l’Espagne du Portugal ou de la Suisse. Les pays Européens, ce n’est pas une surprise, font partie des pays qui ont les taux d’homicide les plus bas (29,5 au Brésil, 10,8 en Russie, 7,4 au Sénégal, 5,4 aux Etats-Unis, 0,6 en Chine).

Une évidence saute aux yeux, ce sont les pays les plus pauvres, où les inégalités sont les plus élevées, où les protections sociales et le niveau d’éducation sont les plus faibles qui ont les taux d’homicides les plus élevés (sans parler des pays en guerre). La violence, l’insécurité, sont bien des maux liés à la pauvreté, à la précarité et à l’exclusion.

Examinons enfin les politiques de répression de la délinquance en fonction du taux d’incarcération de chaque pays. Un exemple qui devrait interroger les partisans du « tout répression » : Les Etats–Unis, ils détiennent le record mondial du taux d’incarcération avec environ 2,2 millions de prisonniers soit 1% de sa population (0,7% en Russie, 0,3% en Chine, moins de 0,1% pour les pays d’Europe de l’ouest). Les Etats-Unis sont ce pays « de liberté » où dans certains états les années de prison se comptent en dizaines, pour des délits comme une récidive de vol sans violence, ce pays où les policiers n’hésitent pas à tirer sur un suspect surtout s’il est noir. Et bien les Etats–Unis où le mot laxisme ne doit pas avoir de traduction, ont un taux d’homicide 4 fois plus élevé qu’en France. Cherchez l’erreur !

La lecture des statistiques, des chiffres brut, des comparaisons, peut conduire à des conclusions différentes selon les lunettes qu’on utilise, il n’en demeure pas moins que certains faits objectifs sont incontournables (malgré les efforts de nos politiciens, journalistes et experts de droite et d’extrême droite pour les contourner). Ces faits sont les suivants :

  • Pauvreté, exclusion, précarité, chômage, inégalités, constituent le terreau le plus fertile à la violence, à l’insécurité, à la production de crimes et délits.
  • L’augmentation de la répression (policière, judiciaire) sans justice sociale, sans amélioration du cadre de vie, sans prévention, sans amélioration de la prise en charge éducative n’a aucun effet sur la sécurité. C’est un coup d’épée dans l’eau, la peur du gendarme n’a jamais fait disparaitre la peur de la misère.
  • Les valeurs affichées de la société capitalisme et de ses dirigeants, réussite individuelle, consommation sans frein, mépris des agents de l’Etat, des syndicats, des « gens de peu » contribuent très largement à la dévaluation des règles du vivre ensemble. Le trafic de drogue, la mafia, la prostitution, sont les formes dégénérées de la libre entreprise capitaliste à la fois soumise à la loi du marché (et du milieu) et pratiquant l’exploitation des « travailleurs ».

En conclusion n’attendons rien des politiques sécuritaires de nos gouvernants qui ne s’attaquent pas aux racines du mal et qui de fait, à cause de leurs politiques, sont responsables de l’insécurité. Leurs objectifs se situent ailleurs, tenir des propos alarmistes et démagogiques en vue de leurs réélection et de la poursuite de leur politique en faveur des riches et des puissants. Eux savent se protéger.

JFM

Asger Jorn 1914-1973 Danemark Komposition 1941Aalborg. Museum of Modern Art Denmark Crédit Photo JL Mazières

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.