Camille Claudel est morte le 19 Octobre 1943 à l’Asile des Aliénés de Montdevergues les Roses, devenu aujourd’hui le Centre Hospitalier de Montfavet. Elle fait partie des 1997 malades mentaux morts dans cet asile entre 1940 et 1945. Morts de faim, de froid, de manque de soin. Une hécatombe qui fut le résultat d’un abandon dans cette inhumanité qui a caractérisé le Régime de Vichy. Un Régime formé de personnalités qui trouvaient « qu’il y avait des malades plus intéressants » à s’occuper que ces fous « inutiles ». Ils seront plus de 70 000 en France à subir les effets de ces théories exterminatoires fondées, entre-autre, sur des théories eugénistes pour préserver la qualité et la pureté d’une race noble. Prix Nobel de Chirurgie, Alexis Carrel aura été le chantre de ces théories reprises dans son livre « l’Homme cet inconnu », en 1936. Des théories qui servirent à celles des nazis dans le plan Aktion T4 et sa campagne d’extermination par assassinat des adultes handicapés, physiques et mentaux, allemands et autrichiens, menée de 1939 à août 1941.
Camille Claudel, va donc terminer sa vie dans ces conditions faites d’horreur au quotidien. Elle était à l’asile depuis le mois de Novembre 1914, venant de l’asile de Ville Evrard où elle fut internée par sa famille en 1913. Sa mère et son frère avait décidé de ce non intérêt et de l’inutilité de se préoccuper de la dignité de leur fille et sœur. Dans son livre « Dossier Camille Claudel »-1987-, Jacques Cassar, l’auteur, nous livre, parmi d’autres documents, des correspondances montrant à quel point Camille Claudel a été consciemment abandonnée par sa famille. Ce génie de la beauté dans la sculpture portait à l’évidence une lumière insupportable pour qui ne peut concevoir la libre créativité d’une femme non soumise et une lumière qui aurait fait ombre aux ambitions d’un ambitieux.
La réalité des conséquences de cette non-assistance à ces personnes vulnérables, enfermées, devenues le rebut du travail de recherche de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains créée par Philippe Pétain et dirigée par Alexis Carrel, n’a fait pour l’instant l’objet d’aucun « pardon ». Il y a certes eu une pétition qui a permis un débat en 2013, aboutissant à une proposition de construction d’un Mémorial sur lequel il était proposé que soit écrit : « Mémorial en hommage aux personnes handicapées victimes du Régime nazi et de Vichy ». S’en est suivi un rapport en 2015, commandé par le Président de la République. Ce rapport retiendra comme inscription sur le Mémorial : « Aux victimes civiles mortes de faim et de froid dans l’indifférence, durant l’occupation ». Un fait unique : un hommage « historique » qui masque et dévie l’Histoire ; ce soi-disant mémorial est une honte nationale qui se rajoute à l’horreur en masquant les responsabilités. Disparues les unités de lieu, de temps et de responsabilités.
On est en droit, ainsi de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’abandon historique de Camille Claudel et les conditions de sa mort ne sont apparus dans les créations littéraires et cinématographiques qui lui ont été consacrés que tardivement. Avant le livre de Jacques Cassar, notons celui d’Anne Delbée (une œuvre de révélation en 1982) ; puis le film de Bruno Nuytten en 1988 qui est une œuvre majeure dans la découverte de la puissance créatrice d’une femme hors norme.
Alors n’est-il pas temps de rendre justice ? De rétablir les faits historiques ? De sortir de cette « indifférence durant l’occupation » pour entrer dans la conscience de la vérité ? Qui donc va réaliser ce troisième film sur Camille Claudel l’abandonnée de sa famille dans les théories exterminatrices du Régime de Vichy ? Le scénario est relativement simple à structurer et à écrire. C’est une œuvre de réhabilitation nécessaire, pour qu’enfin Camille soit apaisée dans son combat. Un scénario qui éclairera également, les pratiques contemporaines de médiation thérapeutique dans les ateliers de création artistique. Des lieux portés d’humanité et de dignité où émergent des puissances transformatrices de personnes troublées dans leur rapport à l’ordinaire. Ce qui a été refusé à Camille l’abandonnée.
André Castelli