Le 31 octobre 2022, un jeune ukrainien de 16 ans a été visé par plusieurs balles sur un point de deal. Il succombera à ses blessures dans la soirée. Il était en fugue d’un foyer dans lequel il était inscrit dans le sud-ouest. Il s’était fait recruter sur une application numérique, pour quelques euros, peut-être pour continuer son chemin. Ce drame rappelle la réalité du monde capitaliste dans lequel nous vivons. Mais le monde capitaliste, c’est aussi un monde de pauvreté où prospèrent les trafics.
Un monde où les pays sont en concurrence les uns aux autres et sont en guerre. En Ukraine, la guerre a déplacé des populations et les a forcées à l’exil. Et ici, les points de deal dans les quartiers prospèrent sur fond de misère social et détournent une jeunesse de ses aspirations au bonheur.
Ce trafic détruit l’avenir des jeunes qui, attirés par l’illusion de l’argent facile, finiront tôt ou tard en prison ou « exécutés » près d’un point de deal.
Ainsi fin mai 2021, dans le même quartier, deux hommes de 20 et 34 ans ont été abattus dans les mêmes circonstances. Le procureur de la République, Philippe Guémas, avait alors souligné “un contexte de guerre des gangs au trafic de drogues.”
Ainsi le mercredi 30 novembre 2022, une fusillade a éclaté le soir. Deux hommes ont été mortellement blessés par des tirs de Kalachnikov, avenue Etienne Martelange, entre les quartiers de Monclarc et Champfleury à proximité. Ils ont été déclarés décédés sur place. Les victimes sont âgées de 18 et 22 ans.
Le trafic de drogue pourrit la vie des habitants de ces quartiers à Avignon comme dans l’ensemble du territoire national, villes moyennes comprises. Ce trafic rapporte des sommes considérables à de gros trafiquants planqués en Espagne ou aux Pays-Bas et aux producteurs de plants de cannabis basés au Maroc. Il rapporte également des milliards aux banques qui blanchissent cet argent au travers de circuits opaques et de paradis fiscaux.
La présence policière, si elle est nécessaire, ne fait pas tout. Elle est bien souvent l’unique réponse de la droite ou de l’extrême droite à cette problématique. Et s’il faut évidemment se mobiliser pour que l’État joue pleinement son rôle de protection des populations, il faut avoir une vision globale de ces problèmes.
Parce qu’évidemment, il faut rappeler que la lutte contre les trafics est une compétence régalienne de l’État.
Au sens large : pour retracer les chemins de l’argent sale par exemple qui suit les mêmes circuits que ceux de l’évasion fiscale.
Pour mémoire, le PNF (Parquet national financier), qui est une institution judiciaire française, a été créé en décembre 2013 pour traquer la grande délinquance économique et financière.
Il travaille sur quatre domaines de compétence : l’atteinte à la probité (par exemple la corruption, les détournements de fonds publics…), qui représente plus de 50 % des dossiers, les questions fiscales (environ 43 % des dossiers), les infractions boursières (une compétence exclusive du PNF, qui représente 6 % des dossiers) et les infractions anticoncurrentielles (une compétence aujourd’hui résiduelle mais avec un nombre croissant de dossiers).
Au 31 décembre 2021, le PNF suivait 650 dossiers, dont 270 relevaient de la matière fiscale. Parmi eux, 169 étaient ouverts sur présomption de fraude fiscale, 52 sur présomption de blanchiment, et le reliquat sur présomption d’escroquerie à la TVA. Les dossiers liés aux atteintes aux finances publiques représentaient 38 % du portefeuille du PNF en 2015. Ils représentent près de la moitié des dossiers en cours en septembre 2022.
Les effectifs du contrôle fiscal ont diminué de plus de 4 000 personnes depuis 2010, dont 1 600 depuis 2017. Ce budget 2023 planifie de nouvelles baisses d’effectifs au sein de la Direction générale des finances publiques. Ces baisses ont un réel effet sur l’efficacité du contrôle fiscal dont le rendement chute sur une longue période avec moins de 16 milliards récupérés chaque année depuis 2019. Tous les services d’enquête et de contrôle auditionnés par la rapporteuse spéciale (le SEJF, la BNRDF, TRACFIN, les syndicats représentatifs de la DG Fip, le PNF…) ont d’ailleurs fait part d’un manque de moyens matériels et humains.
On pourrait évoquer également le rôle de la répression des fraudes dont les effectifs ont chuté d’un quart en 15 ans. C’est pourtant un service qui pourrait très utilement lutter contre les succursales qui servent de lessiveuses et qui refourguent notamment des cigarettes de contrebande (le tiers de la consommation de tabac en France). En effet, les effectifs de la DGCCRF, qui étaient de 3 723 ETP en 2007, devraient s’établir au maximum à 2 812 ETP en 2022, soit une diminution de 911 ETP, correspondant à une baisse de près d’un quart des effectifs en 15 ans.
Une Ville doit également veiller à maintenir des services publics de proximité et un tissu associatif vivant. Ce que la Ville d’Avignon fait. Des centres sociaux, des mairies de quartiers, des médiateurs présents etc. Mais là, non plus, cette réponse, isolée des autres n’est pas suffisante.
Quelles sont les véritables causes de la délinquance, des violences, des incivilités ? Pauvreté, précarité, chômage, discrimination, ghettoïsation, abandon de l’État, disparition des services publics, dégradation de l’école etc.
Il revient alors de se poser la question du devenir de notre jeunesse.
La jeunesse est un âge de la vie où l’accès à l’autonomie est une aspiration fondamentale, le chemin vers celle-ci est jonché d’embûches. Les jeunes rencontrent de grandes difficultés pour accéder à un logement autonome : précarité de l’emploi, des études et des revenus, couplés à la cherté des loyers… Presque 1 jeune sur 2 de moins de 30 ans cohabite avec ses parents.
Les jeunes rencontrent aussi des obstacles pour se déplacer. 1 jeune sur 4 subit des difficultés de transport pour l’emploi ou la formation, et plus de la moitié connaît une restriction de sa vie sociale, de son accès à la culture et au sport. Cette réalité accentue des orientations scolaires et professionnelles forcées.
Les transports sont indispensables aux jeunes pour faire leurs propres choix, notamment pour ceux qui habitent dans un milieu rural.L’accès au sport et au loisir est lui aussi fortement compromis. Trop de jeunes renoncent aux loisirs en raison du coût d’une place de concert, d’une licence sportive ou d’un abonnement pour suivre la Ligue 1. Plus d’un jeune sur trois ne part pas en vacances chaque année.
Pourtant, la culture, le sport et le loisir sont essentiels dans la construction de chacune et chacun. Ils sont au cœur de notre conception de l’émancipation.
Bien entendu, il est hors de question d’excuser les délinquants. Chacun doit prendre sa part de responsabilité dans cette déchéance sociétale : les pouvoirs publics, mais aussi les parents en charge de l’éducation de leurs enfants. Combien d’actions ont été mises en place pour l’accompagnement éducatif de ces jeunes ?
Même si leur rôle est capital, on ne peut tout attendre des pouvoirs politiques, et il est vital de se mobiliser autour de projets et d’acteurs locaux afin d’agir ensemble pour la jeunesse, l’avenir de notre société.