Sur le pont camarade

A qui profite la crise du Covid ?

Note d’Olivier Dartigolles

[…]

La France va être le seul membre du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas produire de vaccin(1).

Cela en dit long sur notre souveraineté sanitaire et industrielle. Notre pays se retrouve donc pieds et poings liés face aux laboratoires, à leurs capacités de production, à leur objectif de profits et de rentabilité. En la manière, le scandale de la 6e dose du vaccin Pfizer/BioNTech représente un véritable scandale. Les praticiens disent combien il est difficile d’obtenir cette sixième dose qui nécessite un geste technique et un matériel adapté. Avec cette opération, Pfizer peut faire un profit supplémentaire de 1,5 milliards d’euros.La présidente de la Commission européenne vient de demander au PDG d’AstraZeneca qu’il honore les livraisons de son vaccin anti-Covid, conformément au contrat avec l’UE. Les livraisons du vaccin AstraZeneca/Oxford, après un feu vert réglementaire européen attendu le 29 janvier, seront moins importantes que prévu au premier trimestre, en raison d’une «baisse de rendement» sur un site de fabrication.

Cet état de dépendance vis-à-vis des laboratoires privés nous réduit au silence et à l’inaction vis-à-vis des inégalités mondiales, effrayantes, en matière d’accès aux vaccins. Aujourd’hui, seuls 45 pays ont accès à la vaccination. Au guichet européen, après les belles déclarations et les premières décisions pour un esprit d’union, de coopérations et d’équité, le temps de la concurrence et de l’égoïsme est vite revenu.

Et Sanofi ? Le groupe reçoit 100 millions par an de crédit d’impôt-recherche. Sur les dix dernières années, Sanofi a licencié la moitié de ses chercheurs, en France et dans le monde. Le 26 juin dernier, alors que nous sortions tout juste de la première vague de Covid-19, le groupe a annoncé la suppression de 1700 emplois en Europe, dont un millier en France. Aussi, après la fermeture programmée des sites de Strasbourg et d’Alforville, il ne restera que trois laboratoires de recherche, sur les onze que comptait l’entreprise il y a 10ans. Sur la même période, Sanofi a touché un milliard d’argent public sous forme de crédit impôt-recherche. Quand aux dividendes, ils continuent à battre des records. Sanofi vient de verser 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Le débat porte aujourd’hui sur la possibilité d’opérer la réquisition des chaînes de production de Sanofi afin que l’entreprise puisse sous-traiter la fabrication de vaccins conçus ailleurs avec la mise hors marché sous licence libre. Les outils législatifs existent. Sous pression, le PDG de Sanofi France vient d’annoncer que le laboratoire assurera le flaconnage de 100 millions de doses Pfiser (avec son unité de production basée à Francfort). Sanofi admet un retard mais pas un«déclassement», en indiquant qu’il continue à travailler à deux candidats vaccins.

L’Institut Pasteur arrête son principal projet de vaccin , jugé pas assez efficace.

Dans sa gestion toujours aussi erratique de la crise sanitaire, le gouvernement vient de commettre un nouvel épisode au sujet des masques. Il y a quelques mois, devant la pénurie des masques, le gouvernement nous incitait à fabriquer nous-mêmes des masques en tissu… pour dire aujourd’hui qu’ils sont peu protecteurs et pour les interdire. Idem sur la deuxième dose vaccinale qui pourrait aujourd’hui être retardée. Les annonces du ministre de la Santé sur le calendrier de la vaccination ne sont pas les mêmes au cours d’une même journée. 15 millions d’ici l’été quand il communique devant les sénateurs,puis 70 millions lors du 20h de de TF1. Même imprécisions au sein de l’exécutif sur les livraisons de vaccins.

Quant au ministre de l’Éducation nationale, tout au long de la semaine dernière, les annonces sur les modalités et le calendrier du bac 2021 ont été des plus changeantes. Au final, pour les baccalauréats généraux et technologiques, les épreuves de spécialité, qui devaient se tenir en mars, sont annulées et remplacées par le contrôle continu. 540000 candidats sont concernés. Le reste du calendrier est maintenu.Mardi, six organisations syndicales, les infirmières scolaires, les parents d’élèves, appellent mardi à une journée de mobilisation nationale et de grève pour la défense des salaires des enseignants et dénoncer la gestion de la crise sanitaire dans les écoles.

A qui profite la crise du Covid ? Dans son bilan annuel intitulé «Le virus des inégalités» (2), Oxfam estime que les habitants les plus fortunés de la planète ont recouvré leurs pertes liées à l’épidémie en seulement neuf mois, notamment, «grâce à un soutien ans précédent des gouvernements pour leur économie», qui a permis «au marché boursier de prospérer». Les dix milliardaires les plus riches ont même vu leur fortune globale augmenter de 540 milliards de dollars. En France, Oxfam estime que les milliardaires ont gagné près de 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020 (soit deux fois le budget de l’hôpital français),une reprise exceptionnelle,dépassant le niveau d’avant la crise.C’est la troisième plus forte progression après les Etats-Unis et la Chine. La fortune de Bernard Arnault passe ainsi de 108 milliards en janvier, à 152milliards en décembre. Soit le double de sa fortune enregistrée en mars 2019.

De l’autre coté,les plus pauvres subissent la crise de plein fouet. Il s’agit des conséquences d’un choix politique. Selon Oxfam, s’il a fallu neuf mois aux plus riches pour retrouver leur niveau de fortune d’avant la pandémie, il faudra plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour s’en relever. Parmi les signes les plus frappants de ce choix, l’explosion de l’aide alimentaire. Le nombre de bénéficiaires est aujourd’hui estimé à plus de 8 millions à l’automne 2020, alors qu’il se situe autour de 5,5 millions en temps normal. Le nombre d’allocataires du RSA a augmenté de 8,5% entre octobre 2019 et octobre 2020, pour un total de2,1 millions de personnes. Rappelons que moins de 1% du plan de relance français est dédié à la lutte contre la pauvreté (800 million d’euros sur 100 milliards, dont 553 millions réservés à la hausse de l’allocation de rentrée scolaire). Dans son rapport, Oxfam présente des alternatives et des préconisations (3).

Concernant la précarité frappant aujourd’hui un nombre considérable d’étudiants, les annonces gouvernementales de cette semaine sont bien peu de choses. Dans le même temps, le gouvernement a versé des milliards aux entreprises sans fixer aucune contrepartie contraignante. Toujours rien à l’horizon concernant les revalorisations salariales pour les salariés de «la seconde ligne», l’interdiction de verser des dividendes en temps de crise ou des engagements solides en matière environnementale. Alors que les épidémiologistes alertent sur les conséquences de la circulation des variants et sur les risques d’une troisième vague encore plus meurtrière, le gouvernement vient d’annoncer la fin programmée du «quoiqu’il en coûte» et, dès aujourd’hui, remet la réforme de l’Assurance-chômage au calendrier de l’agenda politique et social(4)

1Voir l’éditorial de Patrick Le Hyaric dans l’Humanité dimanche du 21/01.1

2 https://www.oxfamfrance.org/rapports/le-virus-des-inegalites/

3 Oxfam appelle le gouvernement français à:Investir massivement dans les services publics– santé, éducation, protection sociale– pour assurer les besoins de baseRevaloriser les minimas sociaux et les bas salaires,à commencer par les métiers du secteur du soin où les femmes sont majoritairesFaire en sorte que les plus riches et les grandes entreprises payent leur juste part d’impôtsMettre en place des contreparties sociales et écologiques contraignantes pour les grandes entreprises

4 Réforme qui vise, dans sa première mouture, à faire 1,5 milliards d’économies

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