Sur le pont camarade

Géographie communiste d’Avignon (1)

Depuis quelque temps déjà, les chroniques que « Sur le pont » me fait l’amitié d’accueillir sont consacrées à des sites, à des quartiers à des constructions, d’Avignon. C’est pourquoi je me suis décidé à entreprendre, dans « Sur le pont », une petite géographie communiste d’Avignon. On en trouvera des petits morceaux dans les numéros à venir de « Sur le pont ». Au-delà même de cette petite géographie, cela pourrait, en même temps, susciter un débat sur l’élaboration d’éléments constitutifs d’une politique communiste de la ville d’Avignon et de sa métropole.

DRÔLE DE NOM POUR UN PONT

Pour aller d’Avignon à Villeneuve, on emprunte le pont Daladier, qui enjambe le Rhône. Mais aussi il enjambe l’histoire. C’est l’occasion de réfléchir aux noms que l’on donne aux rues et à leur signification.

Scherl: Die Abreise der ausländischen Staatsmänner von München.

Petits rappels de l’histoire

Qui fut Édouard Daladier ? É. Daladier (1884-1970), fut député radical-socialiste du Vaucluse de 1919 à 1940 et maire d’Avignon de 1953 à 1958. Même s’il tenta de racheter cette erreur par la suite, en particulier en s’opposant à la guerre en Indochine, à la Communauté européenne de défense et contre la Constitution de 1958, même si c’est son gouvernement qui déclare la guerre à l’Allemagne en 1939 après qu’elle eut envahi la Pologne, même s’il fut, à son tour, déporté après s’être opposé au gouvernement de Vichy, l’histoire ne s’efface pas, et il demeure celui qui signa, en 1938, les accords de Munich qui allaient permettre à l’Allemagne nazie, quelques années après, d’envahir la Pologne, puis, peu à peu, d’engager la politique de l’occupation dans plusieurs pays, dont la France. Pour cette raison même, même s’il fut député du Vaucluse et maire d’Avignon, il est surprenant qu’une municipalité, celle d’Henri Duffaut, ait donné son nom, en 1961, à un pont d’Avignon. Il est vrai qu’il mènera, dans les années cinquante une politique d’engagements plus démocratiques, notamment en soutenant le gouvernement de P. Mendès France en 1954, en présidant, en 1957, le Rassemblement des gauches républicaines, puis en s’opposant à l’investiture de de Gaulle, en 1958, à la présidence du Conseil, prometteuse de l’émergence, dans le futur, du régime présidentiel dur que nous connaissons aujourd’hui. Mais tout cela ne peut effacer ce que l’on peut appeler une « faute originelle », celle des accords de Munich.

Dans ces conditions, il est surprenant qu’une municipalité, même radicale-socialiste comme le fut le maire d’Avignon, Henri Duffaut, ait donné à un pont le nom de Daladier – d’autant plus qu’à Avignon, le pont a une signification et une importance particulières. Parce que le pont est une figure essentielle de l’histoire et de la culture de notre ville.

Le pont d’Avignon

Géographie Brunhes CM (1937) Photo Patricia M. sur Flickr

Bien sûr, il y a la chanson, « Sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse ». Mais, justement s’il y a la chanson, c’est que le pont est une figure importante dans une ville comme Avignon. D’abord, parce que le Rhône est un fleuve essentiel pour la ville et pour région ; mais aussi, au-delà, pour la France toute entière. En facilitant la circulation des personnes et des biens, en facilitant les échanges et les relations économiques, ce pont est, d’abord, un outil de développement économique, une promesse d’activité et de richesse. Mais, au-delà, à Avignon, le pont a une signification plus forte, plus profonde : celle d’une figure des relations et des échanges entre l’Est et l’Ouest de la France. La France a toujours été au confluent de plusieurs identités, de plusieurs cultures, de plusieurs histoires. Et Avignon, en particulier, se trouve à l’articulation des cultures latines, à l’Est du Rhône, et des cultures plus occidentales, celles de ce que l’on peut appeler « l’autre Sud », celui de l’ancienne région Midi-Pyrénées et de Toulouse, celui du Languedoc et de Montpellier – c’est-à-dire de cette grande région que l’on appelle l’Occitanie. C’est dire l’importance de ce pont : au-delà d’un outil de circulation, il est une promesse d’échanges et de diversité culturelle. En ce sens, il y a une contradiction, une antinomie, entre la figure de ce pont et le nom qui lu a été donné, celui d’un homme politique qui fut tout de même l’un de ceux qui ont ouvert, à Munich, la voie à l’occupation et à la domination du nazisme dans toute l’Europe, après qu’Hitler eut envahi la Pologne.

L’engagement politique des municipalités

Hôtel de Ville -Kirk k sur Flickr

Le nom des rues a toujours été significatif de l’identité politique des pouvoirs publics. À la fois parce qu’elles sont des outils de commémoration et parce que, toutes les fois que nous les empruntons, nous nous rappelons le sens du nom qu’elles portent, elles viennent nous rappeler l’histoire que nus parcourons. La rue des Fourbisseurs, la rue des Marchands, à Avignon, nous rappellent les métiers qui y étaient pratiqués. La rue Joseph Vernet nous rappelle qu’un grand peintre a vécu dans notre ville. C’est pourquoi il faudrait peut-être changer le nom de ce pont. Comme toutes celles et tous ceux des générations qui ont vécu la guerre ou qui, comme moi, sont les héritiers directs de ce qu’elle a été pour nos parents, je ressens comme une gifle la lecture de la plaque qui porte son nom toutes les fois que j’emprunte ce pont. C’est pourquoi il importe qu’une municipalité de gauche finisse par s’occuper de la dénomination du pont. Même si l’on ne peut pas effacer l’histoire, même si Daladier restera toujours « le taureau du Vaucluse », même s’il tenta, par la suite, de racheter sa faute, au moins faudrait-il rappeler par une plaque de commémoration qui il fut et ce qu’il fit. Je pense tout de même qu’il faudrait en venir à changer le pont de nom. Parce qu’il est impossible d’oublier l’histoire, il est important, pour les générations à venir, que la ville mette fin à l’usage de ce nom, qui demeure un hommage et une marque de reconnaissance.

Ne pas oublier l’histoire

Comme je l’ai écrit ici même, nous vivons dans l’histoire, c’est notre histoire qui nous a faits ce que nous sommes. Or l’histoire, c’est à la fois du temps court, celui que nous vivons aujourd’hui, à notre époque, celui, pour celles et ceux qui lisent Sur le pont, camarade, qui est le temps des pouvoirs contemporains et des partis d’aujourd’hui, et du temps long, celui que nous n’avons pas vécu, mais dont la trace demeure dans notre culture. C’est pourquoi, pour comprendre qui nous sommes et comment nous le sommes devenus, il importe de se rappeler l’histoire. En l’occurrence, il est important de ne pas oublier Munich en 1938 ce moment de notre histoire qui a contribué de façon essentielle à construire l’Europe dans laquelle nous vivons et les partis qui s’expriment dans notre pays. Pour cela, il ne faut pas faire comme si Daladier n’était qu’un maire d’Avignon comme un autre. Pour ne pas oublier l’histoire, il faut changer ce pont de nom.

Bernard L.

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